Depuis peu, nous assistons à une floraison impressionnante du nombre et de la diversité des modes de distributions de produits alimentaires de qualité. Peu importe l’endroit où nous avons l’habitude de faire nos courses, il y aura du bio, du local voire même du bio et local. Nous pensons faire le bon geste en achetant bio et local. Mais est-ce réellement toujours le cas ? L’augmentation de l’offre est-elle nécessairement bénéfique aux producteurs/trices ? Cette analyse aborde les enjeux des différents modes de distribution alimentaire, la place du monde politique et des organisations de la société civile face à ce développement et finalement le lien avec le concept du commerce équitable.
Depuis peu, en tant que consommateurs/trices nous assistons à une floraison impressionnante du nombre et de la diversité des modes de distributions de produits alimentaires de qualité. Peu importe l’endroit où nous avons l’habitude de faire nos courses, il y aura du bio, du local voire même du bio et local. Heureux.ses d’avoir une offre si importante, toutes et tous pensent faire le bon geste en achetant bio et local. Mais est-ce réellement toujours le cas ? L’augmentation de l’offre est-elle nécessairement bénéfique aux producteurs/trices ?
Cette analyse permettra d’aborder les enjeux des différents modes de distribution alimentaire, la place du monde politique et des organisations de la société civile face à ce développement et finalement le lien avec le concept du commerce équitable.
Afin de construire cette analyse, nous avons rencontré et discuté avec deux acteurs : Hochul Chantraine de la coopérative Agricovert et Christophe Nothomb du réseau des Gasap1.
Paysage des modèles de distribution
Hochul Chantraine nous présente le paysage de la distribution alimentaire comme un courant à plusieurs vitesses. D’un côté, nous avons l’agro-industrie qui se spécialise dans le bio et qui travaille avec de grandes infrastructures, une importante mécanisation et de grosses structures commerciales pour fournir les chaînes de supermarchés comme Colruyt (avec Bio-Planet) et de « discounters » comme Lidl. De l’autre côté, nous avons les petits producteurs/trices spécialisé.e.s dans le bio sans grande infrastructure. Entre les deux, des magasins mixtes comme ceux du groupe Färm.
Face à la concurrence de l’agro-industrie, les petits producteurs/trices sont contraint.e.s de diminuer leur prix pour rester attractifs. La diminution de leurs marges a un impact assez négatif sur leurs revenus parfois très bas (allant de 4 à 8 € de l’heure). Par conséquent, nous assistons à un lissage des prix vers le bas et à une importante concurrence dans le secteur agricole bio.
Hochul Chantraine constate que le/la consommateur/trice est de plus en plus soucieux/se de l’origine et de la qualité des produits de son alimentation. Pour répondre à cette demande, l’offre explose. De plus en plus de magasins spécialisés dans le bio voient le jour tels que des épiceries en vrac, des plateformes de vente en ligne, des coopératives de consommateurs, des supermarchés avec les rayons « produits locaux », etc.
Le/la consommateur/trice est face à une multitude de distributeurs fournissant des produits de qualité avec des prix très variés. Dès lors, peu importe le pouvoir d’achat et la sensibilité accordée à la pression qu’exercent les distributeurs ou les multinationales sur l’agriculture raisonnée pour faire baisser les prix, le bio est accessible à toutes et tous.
Coexistence des différents modèles
Selon Christophe Nothomb, les différents modèles de distribution peuvent coexister mais on ne sait pas encore quelles seront les conséquences négatives ou positives. Les modes de vie changent et la multiplicité de ceux-ci font qu’il est nécessaire d’avoir plusieurs modèles à proposer aux consommateurs/trices.
Pour illustrer ce propos, il prend l’exemple du modèle de Bees-Coop2. Ce modèle parait très intéressant mais il impose un travail de 3 heures par mois sur la commune de Schaarbeek. En tant que citoyen engagé sur Watermael-Boitsfort, ce modèle peut difficilement lui correspondre.
Quant à Hochul Chantraine, il interpelle davantage sur la question du choix. Le.la consommateur/trice choisit la facilité en termes de déplacement et souhaite faire ses courses dans des structures où les produits proposés sont diversifiés (produits transformés, légumes, produits laitiers, viande, etc.) mettant ainsi de côté les filières de circuit-court comme les Gasap ou les paniers d’Agricovert. Christophe Nothomb est conscient que le modèle proposé par le réseau des Gasap ne correspondra pas indéfiniment à l’ensemble de ses membres.
Face aux nombreuses nouvelles alternatives de distribution, le réseau des Gasap et la coopérative Agricovert souhaitent être ouverts et à l’écoute des consommateurs/trices et des producteurs/trices. Reprenons l’exemple de Bees-Coop : quelques producteurs/trices ont vu le nombre de Gasap qu’ils approvisionnent diminuer près de la Bees-Coop, par contre d’autres producteurs/trices y ont trouvé un espace de vente. Selon Christophe Nothomb, « c’est encore trop tôt pour avoir un avis tranché quant au développement de ce type de filière car nous sommes dans une phase de transition. » Hochul Chantraine témoigne que « certains maraîchers arrêtent ou doivent céder aux supermarchés, et retombent dans le schéma classique des prix très bas et des mises en concurrence ». Il parait donc essentiel de questionner les enjeux et d’avoir une réflexion pour le futur.
Les enjeux de la coexistence des différents modèles de distribution.
Pour nos deux interlocuteurs, les enjeux prioritaires de la diversité des modèles de distribution sont différents mais complémentaires.
« En tant que réseau des Gasap, nous nous devons de maintenir le lien producteur/trice – consommateur/trice et de garantir une filière agricole paysanne de circuit-court. Pour cela, nous avons mis en place plusieurs projets dont le SPG3 et un outil d’évaluation de la durabilité des filières alimentaires. Cet outil a été co-construit par La Ruche qui dit oui, le réseau des Gasap et Färm et est coordonné par l’IGEAT4. »
L’outil d’évaluation devrait permettre à terme (fin 2018) d’objectiver si oui ou non (et si oui comment et par quelle pratique ?) les modèles de distribution sont durables. L’idée est d’avoir un outil le plus générique possible pour être capable d’analyser d’autres filières alimentaires afin de valoriser les différences et ce en quoi le réseau des Gasap croit : l’importance de la solidarité pour que les agriculteurs/trices aient un revenu et une qualité de vie décents.
Le SPG est un système qui permet aux producteur/trice.s d’entendre les attentes des consommateurs/trices mais aussi de les inviter à réfléchir à leur manière de consommer5. Le SPG a pour ambition d’augmenter le lien entre les agriculteurs/trices et les consommateurs/trices. Certes, le SPG demande du travail supplémentaire pour le réseau des Gasap (et donc pour les agriculteurs/trices) mais cela peut devenir un élément de motivation pour rester membre d’un Gasap, amener d’autres personnes, donner plus de sens au projet et être plus engagé.
Pour Hochul Chantraine, la priorité est la place que les producteurs/trices prennent dans ces initiatives. « Ils et elles doivent être au centre de la gouvernance de ces alternatives de distribution. Si nous voulons maintenir les agriculteurs/trices en vie, il faut qu’ils puissent fixer les prix et déterminer la politique de la structure. » Pour Agricovert, traiter directement avec les producteurs/trices, c’est se mettre à leur service et respecter leur travail.
Le monde politique face à l’agriculture paysanne
A l’heure où des changements s’opèrent en termes de filières agro-alimentaires – qui se dirigent de plus en plus vers une spécialisation du bio – nos interlocuteurs s’intéressent aux enjeux et aux positionnements du monde politique.
Pour eux, l’accès à la terre est un enjeu vital pour l’agriculture paysanne. Avec la libéralisation des marchés agricoles, on observe la montée en puissance d’un modèle agro-industriel voire même la financiarisation du foncier agricole, au détriment d’une agriculture respectueuse de la terre et des hommes et des femmes qui la travaillent. Ainsi, l’agrobusiness et les industriels s’approprient des centaines d’hectares ne laissant que très peu de place à l’agriculture paysanne. Dans ce contexte, les pouvoirs politiques peuvent jouer un rôle et faciliter l’accès à la terre pour des agriculteurs/trices porteurs de projets durables.
« L’implantation de grosses structures commerciales classiques dans les communes est également un enjeu important » souligne Hochul Chantraine. Ces structures commerciales – attirant bon nombre de personnes – sont généralement peu profitables aux petit.e.s producteurs/trices. C’est pourquoi leur implantation doit être gérée afin de minimiser les impacts et de garantir une agriculture de qualité et respectueuse de l’environnement.
De plus, Christophe Nothomb nous rappelle qu’actuellement la politique agricole commune européenne bénéfice à 90% aux très grosses exploitations. Avec ces subventions, 4 milliards de dollars sont dépensés pour soutenir un système agricole industriel qui pénalise les petit.e.s producteurs/trices du monde entier. Cette politique agricole commune doit être retravaillée et réfléchie en prenant en compte les réalités du monde agricole paysan.
Les deux se rejoignent sur la question de la responsabilité de l’agrobusiness. Actuellement, la logique veut que ce soit les producteurs/trices spécialisé.e.s dans le bio qui paient une certification. La logique devrait être inversée et appliquer le principe de pollueur-payeur.
La place du commerce équitable dans ce paysage
Tant Hochul Chantraine que Christophe Nothomb soulignent l’importance de la relation consommateur/trice – producteur/trice. Etre dans un processus basé sur la confiance et la transparence permet, entre autre, une prise de conscience des réalités tant du monde agricole que du consommateur/trice. Le commerce équitable est, de par la définition que lui donne le réseau FINE6, un partenariat commercial basé sur le dialogue, la confiance et le respect7.
Le commerce équitable, qui concerne jusqu’à maintenant davantage les produits issus du Sud, permet au citoyen.ne d’établir cette relation avec le producteur/trice. Par conséquent, le consommateur/trice a confiance en la valeur ajoutée sociale, environnementale et politique de son produit. Le commerce équitable peut donc être un levier pour conscientiser le consommateur/trice à l’importance de la relation avec le producteur/trice.
Face à ce constat, Hochul Chantraine est persuadé de l’importance de travailler sur le revenu décent, le prix juste et la gouvernance dans le Nord. Selon lui, « le commerce équitable ne doit pas être uniquement une affaire des produits du Sud ». A contrario, Christophe Nothomb se méfie d’un label commerce équitable Nord. En effet, celui-ci pourrait déresponsabiliser le consommateur/trice qui ne chercherait plus à rencontrer et à partager avec le producteur/trice. Il souligne « Le commerce équitable nord est en fait le Système Participatif de Garantie que nous mettons en place avec les producteurs/trices de chez nous ».
Quelle est la place de la société civile ? des organisations comme Oxfam-Magasins du monde ?
Pour nos interlocuteurs, il est clair que le monde associatif doit partager ces messages concernant l’importance de la transparence et du lien producteur/trice-consommateur/trice. Il se doit de participer à une conscientisation globale afin de mettre en place de nombreuses actions locales.
La société civile est également une alliée en outillant les consommateurs/trices pour interpeller le grand public, le monde politique, les lobbies, l’agrobusiness, etc. ou en proposant des pistes d’actions concrètes à mettre en place chez soi.
Christophe Nothomb clôture par « Oxfam-Magasins du monde se doit d’utiliser la crédibilité du commerce équitable pour mettre en évidences les analogies des réalités et des enjeux du monde agricole paysan du Sud et du Nord afin de conscientiser le grand public. »
Un lien évident et nécessaire
On peut conclure que la multiplicité des modèles de distribution peut, dans certains cas, être bénéfique aux producteurs/trices et dans d’autres non. Afin de tendre vers un contexte propice au développement d’une agriculture respectueuse de l’environnement, plusieurs éléments évoqués dans cette analyse sont à considérer.
Tout d’abord, le lien entre les consommateurs/trices et les producteurs/trices est très certainement un outil favorisant l’activité agricole paysanne ainsi qu’une offre de produits de consommation responsable sur les plans tant sociaux qu’économiques et environnementaux. De plus, placer le/la producteur.trice au centre de son activité – de la production à la vente – parait également essentiel au respect de son travail.
Par ailleurs, le monde politique a un rôle à tenir dans la pérennisation de l’activité agricole respectueuse de l’environnement et de l’homme en remettant en question ses logiques et en revoyant les aides octroyées au monde agricole.
Enfin, la société civile et les organisations qui la composent ont un rôle essentiel à prendre auprès du grand public afin d’interpeller et de sensibiliser aux enjeux actuels du monde agricole tant du Sud que du Nord.
- Groupement d’Achat Solidaire à l’Agriculture Paysanne ↩
- Bees-Coop est une coopérative bruxelloise écologique économique et sociale ↩
- Les systèmes de garanties participatifs – voir analyse « Les Systèmes Participatifs de Garantie, une alternative citoyenne au label Bio », 2016. ↩
- Institut de Gestion de l’Environnement et de l’Aménagement du Territoire (ULB). ↩
- Sébastien Maes, « Les systèmes Participatifs de Garantie, une alternative citoyenne au label bio » dans Ensemble cultivons les alternatives, Oxfam-Magasins du Monde, p. 23. ↩
- FINE était une coordination informelle des acteurs du commerce équitable réunissant les grands réseaux internationaux (FLO, WFTO, EFTA). Ce réseau n’existe plus tel quel actuellement. ↩
- Definition of fair trade, site internet WFTO : https://www.wfto.com/fair-trade/definition-fair-trade ↩